Takeda

"Je suis né quelque part sous les étoiles. Je ne sais pas où ni qui sont mes parents. Je les image banals. Lui, simple roturier amateur d’alcool et de femmes, sans envergure ni honneur, mû par une soif inextinguible d’assouvir ses pulsions les plus primaires. Elle, jolie fille issue d’une famille modeste mais clanique, suffisamment naïve pour croire aux balivernes que mon père a dû inventer pour l’attirer dans son lit. Les gens attachent généralement trop d’importance à leur pédigré. Ils y voient un point d’accroche dans la vie, un sanctuaire génétique inviolable, une illusoire unicité. Quelle lâcheté. Pourquoi avoir peur de la solitude ? C’est la meilleure façon pour apprendre à se connaître.

On m’a déposé devant un orphelinat pittoresque du pays du fer, dans une petite bourgade proche de la capitale, Tetsu no Kuni. J’y ai passé les huit premières années de ma vie, entouré de bâtards et de rebuts de la société. Voler, mentir, c’était notre lot commun pour survivre. Nous n’avions pas le choix, il fallait se débrouiller dans cette région rude aux mœurs austères.
Puis vint la guerre (ou plutôt la rébellion). Tel un cheval lancé au galop elle avala tout sur son passage et réduisit le fier pays du fer à l’état d’état satellite, de vassal soumis. L’orphelinat fut détruit, emporté par une bande de pillards encore ivres du sang versé. Nous étions huit à y vivre, je fus le seul à m’échapper indemne. La sélection naturelle.
Je me retrouvai alors seul sur les routes, poussé à l’exode par les affres de la guerre. Je tentai ma chance à Tetsu dans un premier temps mais la ville était en état de siège et les alentours grouillaient de mercenaires et d’âmes perdues. La faim guida alors mes pas et me plongea dans une errance miséreuse.

Cela dura 3 ans, 3 longues années de mendicité et d’extrême précarité. Jusqu’au jour où je rencontrai mon maître. Ou plutôt c’est lui qui me trouva. Les vêtements en haillons, le regard vitreux, le corps squelettique. Un animal apeuré. J’avais alors 11 ans et je ne savais ni lire ni écrire. Je n’avais reçu aucune éducation, d’aucunes sortes que ce soit.
Lui ? Un homme grand et large d’épaule, droit et fier, rêche de caractère, parfois bourru voir acariâtre mais toujours juste. Je compris plus tard que c’était un ancien Samourai du pays du fer qui avait vendu ses services à l’empire et qui le regrettait amèrement. Il avait perdu sa femme et son fils unique qui devait avoir le même âge que moi et noyait son chagrin dans l’alcool et sa culpabilité dans la solitude. Il habitait dans une cabane spartiate de 10 mètre carré, isolé du monde, sans mobilier excepté une grosse male remplie de livres et un mannequin paré d’une imposante armure et ceint de deux sabres rutilants.
Je compris également qu’il voyait en moi, à l’époque, un moyen de se racheter, une deuxième chance que lui donnait la vie de faire le bien autour de lui, une porte de sortie pour son honneur. Car cet homme, bien que pauvre de possession, était riche de cœur et d’esprit. Il vivait selon un code qui lui était propre et qu’il appelait le chant du rossignol.

« Ton esprit est ton arme, ta volonté est ta force.
Dompte tes pulsions ou elles te dompteront. Dompte tes sentiments ou ils te dompteront.
Soit libre comme l’air, frivole comme le vent et précis comme le rossignol.
Fustige les apparences et répudie le mensonge car ils te berceront d’illusions.
Drape-toi de principes mais n’en deviens jamais imbus.
Ouvre tes sens et abreuve-toi de savoir.
Vis par choix et non par chance.
Vis avec honneur.
Ecoute le chant du rossignol.
Le chant du rossignol est précis et juste.
Le chant du rossignol ne trompe pas.
Le chant du rossignol est ta voix. »

Il m’a appris tout ce que je sais à l’heure d’aujourd’hui. Il m’a appris à lire et à écrire, à compter, à tenir un raisonnement logique. Il m’a appris à faire du feu, à pêcher et à chasser. Il m’a appris à discerne les bonnes des mauvaises plantes. Il m’a appris à me battre. Il m’a appris à manier un sabre. Il m’a appris à me servir de mon chakra et de mon ki. Il m’a fait découvrir mon hérédité. Il m’a appris à apprécier la poésie et la philosophie. Il m’a appris à vivre tout simplement. Et ce durant 11 ans.
Jusqu’à la semaine dernière, où il mourut d’une grippe.

Vous vous en doutiez, rien dans cette histoire ne pouvait laisser présager une fin heureuse. Pourtant, je n’éprouvais pas de réel chagrin. Nous allons tous mourir. La seule chose qui nous incombe est de choisir quand et pourquoi. Voilà la véritable voix du rossignol : Subis ta naissance avec résilience (la Terre), vis ta vie avec droiture (l’Air) et choisi ta mort avec honneur (le Sabre).

Et voilà, vous savez tout. D’autres questions ?" Dis-je en arborant un large sourire.