Ruines du pont Tanuka

L’homme se tenait debout au centre de la clairière. Sa main agrippait fermement un kunai, duquel s’écoulait du sang frais, afin de se répandre par fines gouttes sur le sol sec. À ses pieds gisait un autre homme, poussant un dernier soupir obstrué par le sang giclant de la gorge.

Kami avait été promu Chuunin à la suite de sa mission sur l’île d’Hoto et la trahison du clan Tejinashi envers l’Empire. Son équipe et lui avaient fait preuve d’une certaine tactique et la montée en grade était la récompense de la mission qui leur avait été confiée. Quelques mois auparavant il venait tout juste d’être promu Genin. Cela avait été une ascension rapide.

Le jeune homme s’était ensuite consacré à sa galerie d’art. L’inauguration avait été un fiasco, pas aux yeux de tout le monde, mais pour lui totalement. Il avait ressenti le besoin de s’isoler afin de parfaire ses techniques, et de se recentrer sur lui-même. Malheureusement, sa nouvelle fonction de Chuunin signifiait de nouvelles responsabilités, comme par exemple l’entraînement d’une équipe de Genin.

La nouvelle promotion était prometteuse, mais Kami ne se sentait pas l’âme d’un chef. Pourtant, il avait pour qualité la patience, le côté perfectionniste qui le poussait à ne pas prendre de risque, point essentiel pour un chef d’équipe.  De toute façon ce qu’il voulait c’était peindre. Mais son sens du devoir le poussait à faire son travail au mieux. Son ego également. Les entrainements et les missions s’enchainèrent naturellement, sans qu’aucune déconvenue à l’image de celle d’Hoto ne vienne entacher la progression. En à peine six mois il était même pressenti pour passer l’examen de Juunin. Mais il répondit négativement à la proposition d’examen. Ce statut imposait de s’éloigner de Shi et ne lui laisserait plus aucun répit pour pratiquer son art.

Il prit même la décision de quitter l’armée. Il était adulte désormais et ne devait plus rien à personne, il estimait avoir payer ses dettes auprès de l’Empire. Son père, il n’y pensait plus. Il avait découvert l’identité de sa mère, une jeune Tejinashi violée par Ikusa lors d’une mission à Hoto, d’où le ressentiment de tout le clan quand ils étaient arrivés là-bas. Raison de plus pour ne plus avoir de compte à rendre à l’Empire, qui avait couvert ces agissements.

Il devait tout de même effectuer une dernière mission. De l’espionnage sur les côtes de l’océan Monoki, proches des ruines du pont Tanuka, il y avait soi-disant des mouvements de la part du village caché de la neige. Kami était envoyé seul en mission, ses capacités de Juinjutsu et son entrée dans la discipline de l’espionnage en faisait le candidat idéal. Ses animaux de peinture permettaient d’inspecter discrètement les environs pour ne pas se faire repérer. Il devait s’agir d’une mission de routine, qui une fois dérapa, et le mena à la situation décrite précédemment.

Malgré la cruauté de la scène qu’il vivait, il se dit qu’elle aurait été magnifique à peindre. Il imaginait déjà le tableau qu’il ferait de ce moment à la fois habituel pour un shinobi, et qui pour autant lui était si peu familier. Il imaginait les couleurs qu’il choisirait pour le ciel, le soleil en train de se coucher. Quelle teinte il offrirait à ces arbres majestueux qui l’entouraient, avec les rayons du soleil les transparents. Il se questionnait sur les proportions du tableau, quelle place donnerait-il à chaque élément pour augmenter le tragique de la situation. Est-ce qu’il modifierait un peu la réalité pour la rendre plus épique ? Non, elle l’était déjà bien assez comme ça.

Toutes ces questions se bousculaient dans sa tête.  

Comment dans un moment pareil pouvait-il réfléchir à de la peinture ? Alors que du sang venait d’être versé et qu’un homme perdait la vie ? Parce que c’est à ça que nous reconnaissons un véritable artiste, celui qui trouve du sens dans chaque moment, qui cherche à l’immortaliser afin de rendre compte à tout le monde la sensation vécue à ce moment précis.

Parce que l’homme qui gisait sur le sol, c’était lui.