"Maison" de Kai Uzumaki

C'est à peine plus qu'un renfoncement dans les parois de la grotte, situé en direction de l'entrée. Il ne contient pas beaucoup plus qu'un lit, un petit bureau, une commode et souvent quelques cadavres de bouteilles.

A peine sorti de la salle du conseil que je me dirige chez Kai en suivant la direction indiquée par Tsuki. Une fois arrivé devant, je m'étonne de ne trouver qu'une grotte. J'y pénètre et ne manque de remarquer les caisses de bouteilles d'alcool vides situé au coté du lit de Kai, qui lui travaille sur son bureau.

Salut Kai, j'ai plusieurs questions à te poser, mais avant toute choses, que t'es t'il arrivé? Tu as disparu en étant un gamin curieux bon vivant qui avait Hikaru comme rival, et je te retrouve, vivant, à vivre dans une grotte et alcoolique.

Akira s’assoit sur une pierre situé à côté du bureau où Kai se trouve.

De plus, je ne sais pas si tu as entendu parler de ça mais je pense que si, Kiko m'a dit qu'elle m'avait ausculté afin de voir si j'avais des traces de l'emprise de Masamune, ni Kiko ni Tsuki n'a voulu m'en dire plus à ce sujet. Cette dernière m'a même renvoyé vers toi afin que tu me parles de cette histoire, j'aimerais donc être tenu au courant si quelque chose c'est passé au sein du clan.

Je me relève de mon sceau de purification après y être resté une demi-heure. Mes émotions sont retombées maintenant, je me sens mieux, plus en contrôle. J’ai eu peur plusieurs fois dans la soirée que le Hibou tente de se réveiller, heureusement j’étais déjà passé ici avant de me rendre à la taverne, j’ai pu garder le contrôle sans problème.
Tout de même, le retour d’Akira m’inquiète. Je suis heureux de le savoir en vie, évidemment, mais il réveille des émotions que j’avais enterrées depuis longtemps, une faiblesse dont je pensais m’être débarrassé quand j’étais convaincu d’avoir tout perdu. Quelque part, ces sentiments retrouvés m’effraient, j’ai peur de ce à quoi ils peuvent mener, et de comment le Hibou y réagira. Est-ce que j’arriverai à le garder sous contrôle maintenant que j’ai un frère après qui je peux m’inquiéter ?

Sans y réfléchir, je me suis installé sur mon bureau, avec quelques feuilles devant moi. Plusieurs sont rapidement noircies, recouvertes d’ébauches de sceaux, toutes incluant le symbole de l’Emprisonnement, et d’autres symboles essayant tant bien que mal de désigner certaines parties de la psyché humaine.

« Hein ? »

Je me redresse brusquement et me rends seulement compte de ce que j’ai écrit. Ça m’arrive régulièrement depuis que je suis au camp, de me mettre à développer des sceaux sans y réfléchir, comme une machine. Sûrement un reste de l’ancien Kai, celui qui tirait sa fierté de ses recherches. Le retour d’Akira semble le confirmer : il existe encore, quelque part au fond de moi.
J’entreprends de ranger toutes ses feuilles au moment où Akira entre chez moi, suivi par Fuki, qui s’installe près de l’entrée comme à son habitude, après m’avoir examiné quelques secondes. Je laisse mon frère s’installer avant de réagir, il se réveille seulement, je préfère éviter de le brusquer.
Evidemment, il a des questions, je m’attendais à ce qu’il en ait, même si j’espérais ne pas avoir besoin de lui parler de certains sujets, comme Masamune par exemple. Pire, il a l’air remonté, apparemment à cause des quelques bouteilles qui traînent par terre. J’imagine que je n’ai pas d’autre choix que de répondre à ses questions, puisque personne n’a daigné le faire. Je m’adresse d’abord à l’Ouroboros.

« Fuki, tu veux bien rester à l’entrée et me prévenir si quelqu’un arrive ? »

Le reptile lève les yeux au ciel, mais s’exécute tout de même, je me tourne alors vers Akira en prenant une grande respiration, en même temps que je m’assieds sur mon lit.

« Le clan est mort. A part nous deux, il n’en reste sûrement plus rien, ni personne, et c’est pas plus mal, de toute façon tout le monde doit nous vouloir morts à l’heure qu’il est.
Tu sais, il y a deux ans, j’étais parvenu à découvrir pas mal de choses sur les monstres. J’avais réussi à les relier aux bijuus, et j’avais même rencontré un monstre, qui semblait être de notre côté et qui m’avait apporté pas mal de réponses. J’avais même une piste pour retrouver le responsable de leur apparition grâce à Leiko. Sauf que j’ai merdé. »

Je place mes genoux devant mon visage, le regard tourné vers le sol plutôt que vers Akira. Parler de ça est encore plus dur que ce que je pensais, même malgré le temps qui s’est écoulé depuis. D’ailleurs, ça s’entend : ma voix est devenue très hésitante.

« Tout ce que j’ai trouvé, je suis allé le montrer à Masamune. Je lui faisais confiance, comme tout le monde, et il était assez influent pour faire quelque chose de ces informations, tu comprends ? » Je renifle bruyamment. « Mais il était avec eux, et il m’a enfermé pendant un mois entier. Il m’a tout révélé sur ces plans, avec la grande Pope, pour réveiller les monstres et leur roi. Puis il m’a posé un sceau, pour que je ne puisse pas en parler.  Il voulait me briser, en me laissant voir son plan lentement se mettre en œuvre, sans que je puisse l’en empêcher, mais ce n’est pas le pire. » Je laisse échapper un premier sanglot, je sens les larmes me monter aux yeux. « Avec son sceau, il m’a contraint à participer à son plan, il m’a fait tuer des gens, trop pour que je puisse les compter, et de façon horrible. Il voulait que ses victimes souffrent, au final, c’est moi qui m’en occupais. »

Ça y est, je ne peux plus retenir mes pleurs, pendant plusieurs minutes je reste incapable d’aligner une phrase cohérente. Je finis par me reprendre, loin d’être tout à fait remis, mais suffisamment pour continuer.

« En quelques mois, je suis devenu sa marionnette, un genre de chien affamé et terrifié, qui devient enragé dès qu’on lui montre de la nourriture. Je ne pouvais qu’espérer que quelqu’un contrecarre Masamune, quitte à me tuer, de toute façon c’était le mieux que je pouvais espérer. Au lieu de ça, il a pu mener son plan jusqu’au bout, sans que personne n’arrive à l’inquiéter. »

« C’est quand il s’est révélé au grand jour que j’ai été sauvé. Par les chouettes. La Grande Archive s’est déplacée, rappelant toutes les chouettes à elle. Je ne comprends pas très bien pourquoi, mais j’ai été rappelé aussi. Je ne sais pas combien de temps ça a duré, mais quand je suis revenu à moi, le sceau de Masamune avait disparu, et les chouettes aussi. Il ne restait plus que Gakusha, qui se trouvait à un endroit que je ne connaissais pas. Etrangement, je me sentais mieux, comme si j’étais revenu à la vie. C’est à ce moment qu’elle a mis fin à notre pacte, avant de me renvoyer à Onogoro, dans ces montagnes avec Fuki, à qui elle a demandé de veiller sur moi. Depuis, je suis à Naru-Akan. »

J’entreprend de sécher mes larmes pour pouvoir enfin regarder Akira dans les yeux. J’ai l’air pathétique dans mon état, le pauvre doit être déçu de me retrouver comme ça.

« Je n’ai rien pu faire pour sauver nos parents, ou même l’Empire, j’essaie de me racheter mais je n’arrive pas à m’enlever l’idée que tout est ma faute. » Je pose mon katana entre Akira et moi. « Avec tout ce sang que j’ai sur les mains, je te comprendrai si tu ne peux pas me pardonner. »

Kai, Je...

Wow, Je ne sais pas quoi dire, Kai vient de me révéler tellement de choses que j'ignorais et dont je n'avais aucune foutue idée que j'en reste sur le cul, heureusement que je suis assis sinon je serais par terre. Plein de sentiments passent dans ma tête et dans mon ventre, de la peur, du dégoût, de la compassion, de la stupeur, et plein d'autres que je peux même pas identifier exactement. Mais pauvre Kai, il en a bavé, je peux pas dire le contraire, et à sa place beaucoup n'auraient pas tenu le coup. Mais... Je viens de remarquer qu'il avait posé son katana entre nous comme s'il voulais que j'achève ses souffrances.

Après 15 secondes de silence, Akira se lève, empoigne le katana et l'envoie valser au loin dans la grotte avant de gifler violemment Kai et de lui crier dessus.

Tu me demandes réellement, à moi, de t'achever?! Comment as tu pu même envisager que j'ai envie de le faire?! Certes tu as fait de sales choses, qui n'en a pas faite ici? Et sous l'emprise de quelqu'un c'est encore moins ta faute! Réfléchis 2 minutes et demandes toi ce que Maman et Papa diraient s'ils voyaient ta piaule, et que tu acceptes qu'on mette fin à tes jours! Même si l'image de notre clan est pourrie désormais, on a pas été élevés pour être des lâches. Maintenant la balle est dans ton camp, tu peux continuer à te morfondre et à picoler en vivant dans l'ombre, ou tu peux m'aider à redorer l'image que les autres ont de notre clan et tout faire pour que les gamins de la taverne puissent avoir une enfance aussi heureuse que la nôtre. Je pars dormir ailleurs pour les premiers jours, je crois que tu as plus besoin que quiconque de réfléchir à tout ce qui t'arrive et à ce que tu es devenu.

Akira reprends son souffle, prends Kai dans ses bras tout en lui parlant

Je t'aime Kai, tu es mon frère, la seule famille qui me reste, et te voir comme ça tu n'imagines même pas le mal que ça me fait. Reprends toi en main s'il te plait.

J'espère vraiment qu'il aura compris le message que j'ai voulu lui faire passer... Même s'il est indirectement responsable de tout ça, il ne faut pas oublier que son idée de base était d’arrêter l'invasion des monstres, chose à laquelle je ne l'ai même pas aidé. Mais non, il n'a pas le droit de baisser les bras, surtout pas maintenant

Akira commença à sortir de la caverne, puis s'arreta, dos à Kai

Je sais pas ou je vais dormir, mais j'imagine que les membres du camp vont me surveiller, tu n'auras qu'à leur demander. Tu as autre chose à me dire ou je peux disposer?

La gifle d’Akira a l’effet d’un électrochoc. Je reste pantois sur place pendant qu’il me passe un savon. Au fond, je savais qu’il allait réagir comme ça, mais c’est comme si je l’avais oublié et que je ne connaissais plus mon frère après ces dernières années. De la même façon que j’avais oublié nos parents et Hakuba. Tout ça me revient en pleine figure en même temps qu’il les mentionne. Il a complètement raison, et ça aussi je le savais, au fond.
Il a mis le doigt dessus, jusqu’à maintenant je ne faisais que me cacher, pour fuir ce qui m’était arrivé et la responsabilité que j’ai envers les plus jeunes. En m’abandonnant au Hibou je ne faisais que fuir la violence de ce qu’était devenue ma vie. Il faut que je me reprenne en main. Si seulement c’était facile. Le Hibou est toujours là, au fond de moi, prêt à surgir à la moindre faille.
D’ailleurs je le sens en ce moment même, il est conscient et il observe. Pourtant, il ne semble pas hostile comme d’habitude, il se contente de voir ce qui se passe, ç’en est presque déroutant.

En attendant, Akira est toujours là, sur le point de partir. Je ne me sens pas de le retenir, j’ai honte de ce que je viens de lui montrer, et comme il l’a dit, j’ai besoin de temps pour me recentrer sur moi-même. Je m’allonge sur mon lit, recroquevillé le dos tourné à la sortie.

« Non, j’ai besoin de réfléchir, tu as raison. »

J’entends ses pas alors qu’il sort de chez moi.

J’ai le plus grand mal à trouver le sommeil ce soir-là. Les pensées se bousculent dans ma tête, d’abord sur ce que j’ai vécu, puis sur ceux que j’ai perdu. Papa, Maman, Hakuba, ils ont laissé un vide énorme et douloureux. Heureusement, Akira est réapparu, et nous ne sommes pas seuls. Il y a les jumeaux, qui auraient mérité de pouvoir grandir à l’air libre, Hana, le Doc, tous les autres réfugiés qui ont perdu au moins autant que moi, ils ne méritent pas que je les laisse tomber.
Je finis par m’endormir en pensant à eux, pour une fois. Mais mon sommeil est loin d’être des plus calmes.

Je reprends conscience allongé dans un lieu que je ne connais pas, tout autour de moi est noir. Je comprends vite que je suis en train de rêver, mais ce rêve semble étrangement réel. Je sens une présence juste au-dessus de moi, quelque chose de familier, ce n’est pas hostile, mais ça dégage une aura étrange, presque malsaine, comme si c’était une entité qui n’appartenait pas à l’ordre naturel des choses.

« Alors comme ça, tu n’es pas un monstre sanguinaire. »

J’essaie de bouger pour voir qui me parle, mais j’en suis incapable. La présence n’y réagit pas, et se contente de poursuivre.

« On dirait même que tu as des sentiments. Finalement, tu n’es peut-être pas une prison si terrible. »

Une prison ? Drôle de façon de me désigner. Mais à part lui je ne vois personne qui pourrait me voir ainsi.

« Le Hibou ? Qu’est-ce que tu me veux ? »

Il semble amusé par cette appellation. Après tout, c’est la première fois qu’il m’apparaît comme ça, il a l’air de vouloir parler, tout simplement.

« C’est comme ça que tu m’appelles, mais ce n’est pas mon nom. Ce que je te veux, je ne sais pas encore. Vu ton comportement jusqu’à maintenant, j’espérais simplement t’utiliser pour tout détruire, puis disparaître avec toi. Mais il semblerait que tu vailles mieux que ça.
Tu l’as déjà sûrement ressenti, mais depuis qu’on m’a enfermé dans ton corps, nous sommes liés. A vrai dire, je crois que je ne pourrais plus exister sans toi, c’est pourquoi ce que je viens de voir m’intéresse tant. S’il y a du bon au fond de toi, tu peux peut-être me donner une existence qui vaut mieux que la mort, même captif. Je n’ai pas le temps d’en discuter longuement avec toi, m’adresser à toi directement est suffisamment épuisant. Je compte sur toi pour m’aider à prolonger cette discussion, ton art infâme qui a permis de construire ma prison, peut-être qu’il peut être utilisé pour me libérer, au moins temporairement. »

Il laisse sa dernière phrase flotter. Il a effectivement l’air épuisé.

« En attendant que tu y parviennes, je resterai à dormir, comme avant, même si je n’essaierai plus de prendre le dessus autrement que pour te protéger. Du moins, tant que tu ne m’auras pas abandonné. »

Je reprendre peu à peu mes esprits en même temps que je redeviens capable de bouger. J’ai des milliards de questions à lui poser, mais la présence du Hibou a disparu. Je regarde autour de moi pour me rendre compte que je suis à nouveau chez moi, sur mon lit, éveillé. Le Hibou semble toujours présent en moi, profondément endormi.
Fuki est revenu alors que je dormais, il me fixe intensément.

« Enfin. Ça s’est bien passé ? »

Je suis confus. Comment peut-il savoir ce qui vient de m’arriver ? Après tout, même s’il semblait réel, ce n’était qu’un rêve.

« Comment ça, bien passé ? Tu sais ce qui m’est arrivé ? » Je reste pantois quelques instants, et je secoue la tête avant de reprendre. « Quoi qu’il en soit, il va y avoir du changement pour nous, par rapport au Hibou. Il va peut-être même falloir qu’on s’absente quelque temps. Pas tout de suite cela dit, je ne peux pas quitter le camp sans être sûr que tout ira bien sans moi. »

L’Ouroboros semble étrangement satisfait.

« J’en sais beaucoup en effet, Gakusha ne m’a pas demandé de te suivre pour rien. Mais ce n’est pas encore le moment d’en parler. Tu devrais te rendormir pour l’instant, tu vas avoir du pain sur la planche pour les jours à venir. »

« J’imagine que tu as raison. Bonne nuit, Fuki. »